Les agriculteurs canadiens perçoivent l’Argentine, l’un des principaux pays exportateurs de soya, de maïs et de blé, comme une puissance agricole mondiale.

Par contre, parlez à l’agriculteur argentin David Hughes et vous obtiendrez un point de vue totalement différent.

En fait, David Hughes confie que sa tâche prioritaire consiste à « survivre à la politique économique de notre gouvernement ».

« La politique de notre gouvernement n’a jamais appuyé l’agriculture : nous n’avons pas de filets de sécurité agricoles et, de façon générale, nous sommes surtaxés », explique David Hughes, président-directeur général de Traulen Co. S.A., une société qui administre cinq exploitations agricoles totalisant une superficie de 6 500 hectares (16 000 acres) consacrés à la culture du maïs, du soya, du blé et de l’orge.

« La taxe à l’exportation est de 35 % pour le soya, de 23 % pour le blé et de 20 % pour le maïs. De plus, nous devons respecter des contingents d’exportation pour le blé et le maïs, ce qui signifie que les prix que nous obtenons pour notre maïs et notre blé correspondent approximativement à la moitié des prix qu’obtiennent d’autres producteurs ailleurs dans le monde. Nous devons donc trouver une façon de survivre dans ce genre d’environnement. »

Les agriculteurs sont engagés dans une lutte de longue date avec le gouvernement argentin concernant sa politique agricole. L’été dernier, ils ont même fait la grève en refusant temporairement de livrer leurs céréales en signe de protestation contre les taxes imposées sur leurs récoltes. La taxe à l’exportation du soya représente une source de revenu importante pour un gouvernement qui a été coupé du marché obligataire mondial depuis son défaut de paiement en 2002 et qui a désespérément besoin de fonds afin de financer les programmes sociaux pour sa population croissante.

Des taxes élevées et un taux d’inflation annuel de 25 % ont changé de nombreuses pratiques agricoles, explique M. Hughes, spécialiste en gestion agricole de renommée internationale et conférencier vedette au 19e congrès de l’International Farm Management Association (IFMA – association internationale de gestion agricole) qui s’est tenu en Pologne.

« En Argentine, si vous n’êtes pas doué pour l’agriculture, vous êtes rapidement éliminé des rangs », fait-il observer.

« Pour survivre, vous devez diminuer vos coûts. La plupart des agriculteurs ne possèdent pas leur propre machinerie et recourent aux services d’entrepreneurs afin de réduire leurs dépenses en immobilisations. Plus de 70 % des terres sont cultivées sans travail du sol ce qui réduit l’utilisation de carburant, de machinerie et de main-d’œuvre. Nous portons une attention particulière à la rotation des cultures et aux dates d’ensemencement, toujours dans l’objectif de faire plus avec moins. »

M. Hughes indique que, pour de nombreux agriculteurs, l’outil le plus efficace est un simple chiffrier électronique.

« Vous voulez un moyen simple et rapide de déterminer quelle est votre meilleure option, dit-il. Une fois que vous savez ce que vous voulez faire, vous dressez ensuite des budgets détaillés. Mais tout d’abord, vous avez besoin d’un moyen efficace pour rassembler l’information, qu’il s’agisse d’information sur les marchés, sur les conditions météorologiques, sur les attentes quant à la production ou autre. »

Par exemple, bien que le soya soit la culture la plus lucrative, David Hughes résiste à la tentation de ne cultiver que cette plante oléagineuse et fait la rotation avec une autre céréale pour diminuer la pression exercée par les maladies et les insectes nuisibles. Le maïs est le premier choix mais, compte tenu du risque de sécheresse dans sa région (la province de Buenos Aires), il doit tout d’abord évaluer le risque lié à la culture de cette céréale.

« Si les taux d’humidité varient de 70 à 75 % de la capacité de rétention d’eau du sol, je vais ensemencer du maïs, dit-il. Sinon, je choisirai une autre culture. Je dois faire preuve de souplesse. »

Ces chiffres sont très précis, mais David Hughes ne les sort pas de nulle part.

Il est membre actif de l’AACREA (Argentine Association of Regional Consortiums for Agricultural Experimentation), un groupe de cercles de gestion agricole qui a été mis sur pied il y a plus de 60 ans. On compte environ 200 groupes du genre au pays pour un total de près de 2 000 membres. Chaque groupe embauche un consultant à temps partiel, habituellement un agronome ou un vétérinaire, qui les conseille sur des techniques de production nouvelles ou améliorées et qui analyse les données de production et les données financières que les membres lui soumettent.

L’association possède des organismes régionaux et un organisme national qui effectue des études et des essais en champ (dont un qui porte sur les taux d’humidité au moment de l’ensemencement et leurs effets sur les rendements de maïs). Les conseillers ont une structure parallèle, qui comprend un organisme national et des organismes régionaux.

Le processus à double volet (comprenant l’utilisation des meilleures données scientifiques et la révision des cultures individuelles et des budgets de l’exploitation), est conçu de façon à encourager les agriculteurs à prendre des décisions solides, explique M. Hughes.

« Parmi les membres, il y a des propriétaires de petites, de moyennes et de grandes exploitations et ce sont principalement eux qui sont ouverts à l’innovation, à l’échange d’information, à l’analyse comparative et l’amélioration de leur entreprise. Cela ne signifie pas qu’ils sont les meilleurs, mais ils essaient de s’améliorer et de conserver une longueur d’avance. »

Le processus est appuyé par un dépistage constant et minutieux des champs, et chaque décision de gestion des cultures fait l’objet d’une analyse du rendement des investissements. Par exemple, le premier signe de maladie entraînera un dépistage intensif des champs et l’établissement de cibles concernant les niveaux d’infestation avant de recourir à un fournisseur de service de pulvérisation à forfait.

« Lorsque nous effectuons le dépistage des champs, nous devons être très minutieux, explique t il. Nous ne pulvérisons jamais juste au cas où. »

La récente flambée des prix des céréales et des oléagineux qui a suscité l’utilisation intensive d’intrants pour maximiser les rendements s’est révélée une stratégie gagnante pour les agriculteurs de l’Amérique du Nord. Mais lorsque la situation changera, les meilleurs gestionnaires d’entreprise agricole adopteront rapidement une nouvelle approche, fait observer M. Hugues, qui a beaucoup voyagé (et qui est titulaire d’une maîtrise en agroéconomie de l’Université Texas A&M).

« L’important, ce n’est pas l’environnement économique, mais plutôt la façon dont vous réagissez à cet environnement, conclut David Hughes. Je connais beaucoup d’agriculteurs canadiens et étatsuniens qui réussiraient très bien en Argentine. C’est vraiment une question d’attitude et de gestion de votre entreprise. »

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Le prochain congrès de l’International Farm Management Association (IFMA – association internationale de gestion agricole) aura lieu au Canada, en 2015.